Le fantastique et le merveilleux dans le surréalisme

Le fantastique et le merveilleux dans le surréalisme

Publicada originalmente com o título "O fantástico e o maravilhoso no Surrealismo", em março de 2024.

Dans le surréalisme, il y a une acceptation, sans réserve, de l’homme en tant que rêveur éternel et de l’imagination comme sa principale faculté (Breton, 2001). Chez les surréalistes, la conception de l’imagination ne se limite pas à reproduire ce que nous appelons le réel ; elle est surtout, une imagination créatrice, source de nouvelles possibilités orientées vers l’avenir. Les surréalistes cherchaient à transformer la vie, à changer le monde, et la quête du merveilleux faisait partie intégrante de ce processus.

Mais qu’est-ce que le merveilleux pour les surréalistes ? Bien que le terme « merveilleux » soit mentionné dans divers textes surréalistes, il est, dans la plupart des cas, vague : à la fois il équivaut au fantastique, à la fois à la poésie, tantôt à la surréalité. André Breton, bien qu’il n’ait ni défini ni théorisé le merveilleux, selon lui, le merveilleux varie d’époque en époque et participe mystérieusement à une sorte de révélation générale dont nous ne percevons que des détails : les ruines romantiques, le mannequin moderne, ou tout autre symbole capable de toucher la sensibilité humaine pour un certain temps. Il reconnaît que le merveilleux se manifeste de manière unique dans les histoires mythologiques, les contes de fées, les créations romantiques, et les romans gothiques, correspondant à des époques différentes, mais toutes imprégnées d’une irrépressible inquiétude humaine (Breton, 2001).

Bien que les surréalistes présentent les termes « fantastique » et « merveilleux » tantôt comme opposés, tantôt comme similaires, ils s’opposent à la notion de fantastique comme un effet fictif, donc littéraire. Cette opposition se comprend par leur rejet de la réalité comme une donnée extérieure à l’homme, constituant ainsi une critique du positivisme du XIXe siècle. Pour le surréalisme, l’homme est « une frontière consciente entre deux mondes : celui qui est extérieur et limité, et celui qui est intérieur, multiple et illimité » (Dantas, 2017).

Tableau de l’artiste canadien Rob Gonsalves (1959-2017), exemple de peinture de réalisme fantastique.

Le merveilleux est la possibilité de contact entre ces deux mondes. Le fantastique, relevant de la  fiction, est pour Breton sans conséquences, alors que le merveilleux se situe à l’extrême opposé : il s’agit d’une question ontologique, et sa révélation nous fait comprendre la vie comme une surréalité, c’est-à-dire remplie d’événements surprenants et insolites, où les oppositions entre le réel et l’imaginaire, le conscient et l’inconscient, la subjectivité et l’objectivité sont abolies. La conception surréaliste du merveilleux est, bien sûr, liée à un nouveau paradigme : la découverte de l’inconscient par Freud.

Tzvetan Todorov, dans son œuvre Introduction à la littérature fantastique (1980), a eu le mérite d’attirer l’attention des chercheurs sur la littérature fantastique. Pour lui, l’expression « littérature fantastique » se réfère à une variété de littérature ou, comme on le dit habituellement, à un « genre littéraire » qui met en scène des êtres imaginaires (vampires, démons, entre autres) et des événements impossibles à expliquer par nos lois qui nous sont familières, créant un doute : est-ce réel ou imaginaire ? réalité ou rêve ? Selon Todorov, le fantastique ne dure qu’un moment de doute, une hésitation commune au lecteur et au personnage face à  ce qui est ou n’est pas la « réalité ». À la fin de l’histoire, le choix (du lecteur ou du personnage) face à cette incertitude mène à deux possibilités : si l’on décide que les lois de la réalité restent intactes et permettent d’expliquer les phénomènes décrits, l’œuvre appartient à un autre genre : l’étrange. Si, au contraire, on décide qu’il est nécessaire d’admettre de nouvelles lois de la nature pour expliquer le phénomène, on entre dans le genre du merveilleux (Todorov, 1980). 

Pour Todorov, le merveilleux est une stratégie littéraire caractérisée par l’absence de surprise face à des événements insolites et surnaturels, comme cela se produit dans les contes de fées. Cependant, les contes de fées sont l’une des variétés du merveilleux dans la taxonomie todorovienne. Todorov admet que le merveilleux dépasse une étude qui prétend être littéraire, comme la sienne, étant donné qu’il est aussi un phénomène anthropologique.

Ce n’est pas par hasard que, au sein du groupe surréaliste, Pierre Mabille et Michel Leiris se sont particulièrement consacrés à la réflexion sur le merveilleux. Mabille oscillait entre la médecine, l’anthropologie et la poésie, tandis que Leiris, entre l’ethnographie et la littérature. Pour Mabille (2002), le merveilleux se trouve entre les choses, entre les êtres, dans des espaces imperceptibles où des transformations se produisent, exprimant la nécessité humaine de dépasser les limites du temps et de l’espace. Pour Leiris (après Collani, 2007), il revient à l’imagination de découvrir le merveilleux, peu importe où, car il serait toujours une projection du monde intérieur de l’homme. Ce qui distingue le merveilleux des surréalistes du merveilleux todorovien, c’est le fait qu’il n’est pas un simple outil littéraire, mais un événement inhérent à la vie, à l’homme lui-même, ne s’opposant pas au « monde réel ».

La quête du merveilleux impliquait pour les surréalistes des flâneries en ville, des promenades dans les marchés aux puces et à la recherche du grand amour. Mais leur aventure allait bien plus loin : dans les processus de création de l’art naïf et de l’art brut; dans les expériences de somnambulisme, d’écriture et de dessin automatiques, et dans des techniques comme le collage et le frottage. Toutes ces activités impliquent une perturbation de la causalité logique, la manifestation du désir inconscient et la projection de l’imagination.

En somme, qu’est-ce que le merveilleux pour les surréalistes ? Un événement fortuit, surprenant, éphémère, intimement lié à l’inquiétude humaine et provoquant l’étonnement ; il est ineffable. Selon Mabille (1946), c’est le magma en ébullition au centre de la révolte, c’est la tension extrême de l’être lorsque le désir inconscient rencontre la réalité extérieure.

Cent ans après la publication du Manifeste du surréalisme (1924), le terrible diagnostic d’André Breton reste actuel : l’homme, ce rêveur définitif, observe ses propres conquêtes, mais se trouve de plus en plus mécontent de son destin et, s’il lui reste un brin de lucidité, il doit se tourner vers sa propre enfance. Se tourner vers son enfance, c’est redécouvrir le merveilleux, donner libre cours à l’imagin(ac)tion et ainsi impulser la transform(ac)tion d’une réalité opaque, oppressive et déprimante en un monde réenchanté.

Publicada originalmente com o título “O fantástico e o maravilhoso no Surrealismo”, em março de 2024. Versão em francês: Mateus José Guimarães de Abreu, instrutor bolsista do Programa Paraná Fala Francês da UEL (PFF-UEL). Revisão: Profa. Dra. Suélen Maria Rocha, Docente do Departamento de Letras Estrangeiras Modernas da UEL e Coordenadora Pedagógica do PFF-UEL.

Références :

BRETON, André (2001). Manifestos do Surrealismo. Sergio Pachá (Trad.). Rio de Janeiro: Nau Editora.
COLLANI, Tania (2007). “Le merveilleux surréaliste de Michel Leiris et la conciliation avec la modernité”. In: Revue Cahiers Leiris n.2. Mercourt: Editions Les Cahiers, novembre. p.22-37.
DANTAS, Marta (2017). “O castelo de André Breton: o fantástico e o maravilhoso surrealismo”. In: Revista Abusões, n.05 v. 05, p. 282-313.
MABILLE, Pierre (1946). Le Merveilleux. Paris: Les Éditions des Quatre Vents.
TODOROV, Tzvetan (1980). Introdução à literatura fantástica. São Paulo: Perspectiva.

*Professeure au Département d’Arts Visuels (Ceca) et du Programme de Master en Lettres ; coordinatrice du projet de recherche « Le fantastique et le merveilleux : une enquête sur la conception de la réalité et de la surréalité, du littéraire et de l’extra-littéraire dans le Surréalisme ». Autrice du livre « “Arthur Bispo do Rosário: a poética do delírio” (Unesp, 2010)” et directrice de la Maison de la Culture.

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